Zeidane m´a fait le plaisir de m´interviewer. Je propose un extrait:
L´original est à lire
ici
Vous êtes en Allemagne, loin de
votre Tchad. Mais lorsque l’on survole votre blog, on saisit aussitôt vos yeux
qui ne cessent de regarder d’un bon ou d’un mauvais œil votre pays où la
politique ne décolle pas encore vers un ciel démocratique. Qu’est-ce qui
explique un tel attachement ou un tel retour en arrière?
Etre tchadienne n´est pas seulement un document que ´on porte sur soi. On
est Tchadienne dans le cœur, par sa façon de vivre, de faire, de manger :
c´est une culture et une identité et je la porte en ma personne avec fierté.
Ceci explique cet attachement que j´ai pour ce pays. Et puis il faut le dire,
j´y retourne tous les ans. Je n´ai jamais fait plus de deux ans hors des
frontières du Tchad. De ce fait, je suis plus ou moins au parfum de presque
toutes les mutations, changements et évolutions.
Idriss Déby, le président de votre
pays le Tchad est arrivé au pouvoir le 1er décembre 1990. Nous sommes en 2013.
Il est encore au pouvoir. Comment expliquer qu’un président puisse régner 23
ans au pouvoir sans qu’un peuple ne manifeste pas sa colère contre lui comme
dans certains pays du Maghreb ?
Peut-être qu´il gère bien le pays (rires). Les réalités tchadiennes sont
autres. Comment réussir un printemps tchadien avec une armée presque clanique?
Il serait difficile d´envisager un pareil changement et je crois que le Tchad
n´en a pas aussi besoin. Trop de sang à couler jusque-là dans ce pays. Je suis
pour un changement bien sûr mais il faut innover, trouver d´autres formules
puis que le principe des urnes a fait aussi ses preuves. En voyant le Maghreb,
on voit les failles et les limites de ce printemps. Alors un printemps tchadien
à la sauce maghrébine? Non, merci. Trouvez nous du nouveau.
Vers qui revient la faute de ce
pays qui a du mal à respecter les valeurs démocratiques : les religions, les
populations ou bien le destin?
Les responsabilités sont partagées entre toutes les parties composantes du
Tchad sauf le destin. Je refuse toujours cette fatalité tchadienne à voir le
destin ou la main de Dieu derrière chaque misère. Nous sommes tous
responsables, nous Tchadiens toute tendance confondue, du Tchad actuel. Le
peuple est coupable par son ignorance, sont indiscipline et son incivisme qui
est très mal canalisé. Regardons un peu les débats sur les réseaux sociaux et
les pages tchadiennes. Il faudrait que le peuple commence par entretenir une
culture de la paix entre les communautés qui font la Nation tchadienne. Quant
aux religieux, certains font soit la fine bouche, soit la politique de
l´Autruche s´ils ne pactisent pas avec le mal. Le destin est bien loin de tares
de ce pays. Il revient à chaque entité de prendre ses responsabilités vis-à-vis
de la jeunesse en lui accordant les moyens de son développement.
Vous vivez en Allemagne dans un
pays démocratique où toutes les libertés sont respectées. Vous provenez d’un
pays où la justice a de la peine à trouver un espace. « Vues croisées » est un
désir vers l’inconnu et d’explorer ce qu’il a de meilleur en lui. Qu’est-ce qui
vous semble le plus important finalement ?
Je crois qu´on peut beaucoup apprendre des autres, certains de leurs
savoir-faire par exemple, leurs histoires, leurs combats, leurs victoires.
L´important c´est de savoir ce qu´il nous faut et ce qu´on veut de l´autre.
Se retrouve-t-on facilement dans
un pays de droit quand on a déjà pris l’habitude de vivre dans un pays comme le
Tchad où l’autrui et ses biens ne sont pas souvent respectés?
Tout s´apprend dans la vie. Mais je crois que ce ne sont pas tous les
Tchadiens qui sont les moutons de panurges. Le problème est que l´injustice est
si banalisé au Tchad que les actions des hommes de bien deviennent moins
visibles. Au fil de mes rencontres j´ai vu comment l´Homme tchadien est
apprécié pour sa retenue et son sens de l´honneur et de la dignité. Cependant
il faut souligner que notre rôle de gendarme pompier-pyromane en Afrique ne
nous attire pas du coup les affinités. Mais c´était. Je crois que depuis notre
intervention au Mali, les idées changent.
Vous arrive-t-il de parler
positif du Tchad aux Allemands ou à d’autres personnes que vous côtoyez ou vous
n’êtes que là pour taper sur la tête de certains de vos dirigeants qui brillent
de leurs fautes?
S´il ressort plus du négatif dans mes écrits, il n´est pas pour autant dit
que je vois le Tchad ainsi. Au contraire, je décris toujours à mes
interlocuteurs ce Tchad que certains medias omettent de présenter. Le Tchad
c´est, les tenues vestimentaires, les musiques, sa gastronomie, son hospitalité,
ces jeunes qui émergent et entreprennent, le potentiel géoéconomique… Telle est
ce Tchad qui revient souvent dans mes débats avec les autres.
Le Tchad exploite son pétrole
depuis une dizaine d’années, pourtant beaucoup de gens souffrent d’une extrême
pauvreté. Pourquoi cela ? Et vers quelles directions va l’argent du pétrole et
des autres ressources du pays?
À voir le train de vie et les parcs autos d´une catégorie de Tchadiens, les
villas qui poussent partout, je crois que la réponse à la question est très
évidente! Une partie du peuple détient cette manne au détriment d´une majorité
lésée.
Votre pays le Tchad se balance
entre les Chinois, les Américains, les pays arabes et les Occidentaux. Est-ce
que ce sont des telles coopérations qu’il faut pour un pays sous-développé?
L´urgent serait de trouver le bon terme de coopération. La nature du pays
coopérant doit importer peut s´il ne fait pas de certains de ces attributs une
condition de cette coopération. Qu´elle soit chinoise, arabe, occidentale,
toute coopération est avant tout stratégique et, tout partie doit savoir
consolider et déterminer les échanges dans un rapport gagnant-gagnant.
Vous avez un œil de sociologue de
développement et populations, quelles sont les erreurs que le Tchad commet en
matière de coopérations et qui le déstabilisent profondément?
La première erreur du Tchad en matière de contrat de quelle nature que ce
soit, c´est de signer des documents que l´on connait à peine les clauses. Dans
toute coopérations, chaque partie doit garantir ses intérêts car c´est bien de
cela qu´il s´agit. Je me demande si on envoie toujours des personnes qu´il faut
lors des négociations de certains contrats. Si tel n´est pas le cas, il
faudrait revoir les choses, savoir qu´est-ce qu´on donne en échange de quoi.
Lorsque le Tchad aura compris cette logique de coopération, on pourrait
rentabiliser nos échanges.
Hissein Habré est en train de
juger au Sénégal pour répondre de ses actes de crimes contre les Tchadiens et
contre l’humanité. Mais la justice internationale et sénégalaise a oublié le
nom de son ex-chef d’Etat-major Idriss Déby. Que dites-vous de tout ça?
Je crois que cet ex-chef d´Etat-major se dit prêt à comparaître. En bon
soldat, il doit être certainement un homme de parole alors, on ne doit pas
pronostiquer avant la comparution officielle du premier accusé.
Selon vous, dans quel pays
devrait-il être jugé?
Tout pays peut juger Habré sauf l´Afrique. La crainte d´un procès lent ou expéditif
et non équitable peut en être la raison. D´ailleurs qui des dirigeants
africains actuels pourrait jeter le premier, la pierre? Je pense qu´Habré
pourrait avoir un jugement équitable à la Haye. Quand à cette souveraineté
africaine évoquée pour écarter la piste de la CPI, c´est un débat à part
entier. Si l´Afrique a voulu le juger, elle l´aurait fait depuis les 23 ans
qu´Hissein Habré est parti du pouvoir.
Lorsque l’on survole vos
différents articles, on constate que vous abordez vos sujets avec une technique
mi-simple, mi-dure de mots pour critiquer certaines pratiques de votre société
tchadienne comme le lévirat, la nomination d’un médecin au ministère de
l’Agriculture. Est-ce que c’est une révolte ou bien c’est juste une façon
d’appeler vos dirigeants au pouvoir à un changement positif?
Je dis juste les choses telles qu´elles sont avec des mots qui sont miens. Si
jamais un de mes dirigeants après lectures décide de changer la donne, ce
serait un plaisir. Mais je crois que l´écho de mes écrits est si faible qu´il
ne peut parvenir à leurs salons feutrés.