vendredi 20 avril 2012


Dieudonné Gnammankou, Historien et directeur de Dagan Editions: Non l´Europe n´est pas blanche

En ce XXIe siècle, les enfants des millions d'Européens noirs ne peuvent pas se construire pleinement si tous les héros et héroïnes auxquels ils peuvent s'identifier sont monocolores, c'est-à-dire blancs ! Or les médias, écrits ou audiovisuels, les films, les spectacles, les livres, bref, tout ce qui concourt à s'assimiler à la société à laquelle on appartient en cette ère résolument technologique et médiatique, renvoient à des héros exclusivement blancs ! Les noms de rues, d'avenues, de boulevards, de places, d'écoles, ne renvoient pas à la pluralité des origines des populations européennes : les Noirs en sont les grands absents. Dans combien de villes du Vieux Continent peut-on apercevoir la statue d'une femme ou d'un homme noir illustre ? À Paris, c'est seulement depuis le 20 décembre 2011, avec l'inauguration de la statue de Gaston Monnerville, célèbre homme politique originaire de Guyane qui fut président du Conseil de la République (1947-1958) et président du Sénat (1958-1968), que les parisiens peuvent passer devant l'unique statue de la ville représentant un Noir !
L'enseignement de cette histoire commune aux Africains et aux Européeens permettrait le recul de l'intolérance et du racisme.
Dans l'esprit de beaucoup, s'il n'y en a pas d'autres, cela signifie que, hormis Monnerville, aucun Noir n'a marqué de façon mémorable l'histoire de la capitale française. Mais est-ce vraiment le cas ? Non ! Paris a connu des héros noirs dans son histoire, et l'un deux avait même une statue à Paris dès 1906. Hitler et ses troupes se sont empressés de la retirer lors de l'Occupation, pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s'agissait de celle du général Dumas (1762-1806), né esclave à Saint-Domingue (Haïti aujourd'hui) « d'une mère dahoméenne ou yorouba », qui connut ses heures de gloire sous la révolution française et fut surnommé « le premier soldat du monde ».
Il y eut d'autres figures exceptionnelles et non des moindres, à l'image du célèbre chevalier de Saint-George dont une rue de Paris porte le nom depuis décembre 2001, ou encore de Camille Mortenol (1859-1930), un officier de marine d'origine guadeloupéenne qui assura la défense aérienne de la ville de Paris pendant la Première Guerre mondiale. Et bien avant lui, il y eut Severiano de Heredia, ce métis cubain né à la Havane en 1836 et arrivé à Paris enfant qui allait devenir maire de la capitale française en 1879 puis député de Paris, avant de devenir ministre des Travaux publics en 1887. Certains continuent pourtant à se demander pourquoi les historiens devraient s'intéresser aux personnalités noires qui se sont illustrées dans l'histoire européenne.
Mes travaux sur la vie et l'oeuvre de l'arrière-grand-père kotoko du poète Pouchkine, Abraham Hanibal (1696-1781), ont permis de montrer l'importance que revêtait l'Afrique dans la vie et la création littéraire de son illustre descendant. Une des conséquences de mes publications a été le renouveau de la recherche littéraire russe en relation avec la thématique africaine dans plusieurs universités, en Russie, aux États-Unis et au Canada par exemple. En 2008, l'université Harvard a organisé son premier colloque sur l'africanité de Pouchkine, après celui organisé par l'université Columbia en 2005, qui a conduit à la publication sous la direction de C. T. Nepomnyashchy d'un ouvrage de référence sur le sujet, Under the Sky of My Africa: Alexander Pushkin and Blackness, qui fait suite à Pouchkine et le monde noir, paru en 1999 sous ma direction chez Présence africaine.
 Pour les Européens et pour les Africains, il ne s'agit, ni plus ni moins, que d'une partie méconnue de leur histoire commune qui, si elle était enseignée et largement diffusée, permettrait le recul de l'ignorance, de l'intolérance et du racisme.
Je lance donc un appel aux bonnes volontés pour aider à financer une grande exposition sur le thème « Les Africains et leurs descendants en Europe avant le XXe siècle », programmée depuis le colloque éponyme organisé en 2005 par la Maison de l'Afrique à Toulouse. 


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