Vivre avec l´or noir
Comment l´harmonie socio-économique a été brisée
D´un projet qui devrait être un modèle africain, le pétrole tchadien a fini par faire non seulement le malheur de la population de la zone exportatrice ; mais aussi par détruire en dehors de l´environnement, l´harmonie sociale et l´économie d´une région déjà pauvre. En atteste les travaux de recherches d´un doctorant en Anthropologie, Rémadji Hoinathy.
À droite, Rémadji Hoinathy (ph privée)
«L´inhabituelle et la conséquente somme en cash entre les mains n´a pas laissée les institutions sociale inchangées. Le mariage, cette institution sacrée a été aussi influencé par la monétisation extrême de cette société depuis l´avènement du pétrole. Précisément la dot. Sa valeur financière a prévalu sur la valeur symbolique qu´elle représentait. Même les pauvres se sont vus contraint à payer jusqu´à 590 000 frs. L´autre signe du changement social est l´apparition des bidonvilles créées par la main d´œuvre venue chercher le travail sur le champ pétrolier et la prostitution. Ainsi entre le champ pétrolier et les villages, il y´a des habitations spontanées comme lieu de divertissement tels le quartier Satan et Mud-a-ndogne.»
Voilà en bref présenté, ce mercredi 18 janvier 2012 à l´Université George Auguste de Göttingen, les travaux de recherches en Anthropologie du tchadien Hoinathy Rémadji sur les changements anthropologiques survenu dans la région pétrolifère du Tchad depuis l´exploitation de l´or noir. D´après le conférencier on peut observer, en dehors de ces changements, trois types de conflits nés de l´exploitation de l´or noir tchadien. Le projet pétrole comme partout ailleurs a engendré la guerre des terres. Mais des terres dédommageables. Le plus souvent ces guerres finissent dans le sang et sont parachevés par les pratiques occultes comme la sorcellerie. Il est arrivé que les conflits latents entre les autochtones et les nouveaux venus s´éclosent en conflits ouverts. Parfois instrumentalisées sur des bases ethniques. Le plus souvent, les chefs de cantons ont entretenu ces guerres pour préserver et sécuriser leurs frontières afin de pouvoir profiter d´éventuels dédommagement. Plus on a de l´espace, plus on a la chance de gagner gros semble être le motif.
De la destruction de l´harmonie sociale à l´échec d´un projet modèle
Doba est la troisième région la plus pauvre du Tchad. Les habitants vivent en grande partie de l´agriculture et l´élevage. Les revenus pétroliers sont ainsi venus ont augmenté considérablement les gains des autochtones mais pour une durée courte. Les hommes se sont retrouvés subitement avec des montants assez élevés que d´habitude en main, sans un système bancaire ou une institution d´épargne moderne. Beaucoup investirent dans les soins sanitaires, l´habillement, certaines obligations sociales. Mais l´alcool, la prostitution et la dot, prirent aussi une grande partie. Très peu de villageois ont fait des investitions rentables.
L´argent n´a pas bouleversé que la paisible vie des villageois. Il a conduit à une perte de valeur des institutions sociales telles que le conseil des anciens et toute cette organisation autour des chefferies traditionnelles. Ces derniers se mirent à monnayer leurs autorités, ils exigèrent des avoirs de 10% de tous dédommagements perçus. Comme quoi, lorsque l´argent prend le dessus, l´équité gage d´harmonie et de développement ne peut qu´être oublié.
Pourtant la Banque mondiale (BM) a voulu faire de l´exploitation du brut tchadien un projet modèle contrairement à d´autres projets pétrole africains. Pour montrer qu´il est possible de réduire la pauvreté grâce à l´or noir, la BM a initié, sous supervision d´un Collège de Contrôle et de Surveillance des Revenus Pétroliers (CCSRP), un fond de 5% alloué au développement de la région productrice et 5% pour les générations futures versé dans un compte bloqué à City Bank. Ces derniers fonds seront rapatriés, avec l´aide de l´Assemblée Nationale tchadienne qui a voté la levée l´interdit de toucher à ces fonds, pour l´achat des armes. Tandis que Doba ne bénéficiera que des infrastructures surtarifiées mais mal construites, un hôpital grandiose sans médecins. Bref, toute une palette de crime économique dont le seul motif est de faire rentrer les 5% dans les poches individuelles.